Le couloir

par Christian 12 Juillet 2008, 10:20 Anecdotes


Situé dans la partie haute de la ville, l’appartement était vaste.

Au premier étage d’un immeuble flottant sur la rue,
l’immense salle à manger agrémentée d’un bow-window se transformait
dans mes jeux d’enfant en passerelle de navigation.
Matelot sans expérience j’affrontais les averses tropicales
avec jubilation, crainte et fascination.

Depuis mon poste d’observation je regardais ces grosses pluies
soudaines et violentes qui transformaient  un banal escalier de latérite
en fleuve rougeoyant.
La rincée sautait de marche en marche avec toujours plus de force et de vitesse.

Intimidé par la violence des éléments je ne quittai pourtant pas
mon poste d’observation avant la fin de l’averse.

En temps ordinaire cette grande pièce était le lieu
où se retrouvait toute la famille pour le dîner.

À table le père écoutait le bulletin des actualités
sur un poste à transistor crachoteux,
la mère tentait de discipliner ses quatre enfants,
les chiens tournaient autour de la table en faisant résonner
leurs griffes sur le sol en béton peint.

Par les fenêtres grandes ouvertes le vent indiquait des conversations lointaines
dans une langue étrangère, signalait le murmure touffu des jardins
et enregistrait parfois le son égaré d’un véhicule.

Par souci d’économie et pour éviter les fréquentes surtensions 
et coupures d’électricité, seule la salle principale était éclairée.

Comme j’étais l’aîné des enfants, et le seul garçon, c’est souvent sur moi
que dégringolait ce genre de corvée qui requérait courage et témérité :


- Chris, tu veux bien aller me chercher la bouteille d’eau sur la table de la cuisine

- …

- Christian ! je t’ai demandé d’aller chercher de  l’eau !

- Mais pourquoi toujours moi, demande aux filles

- Arrête de discuter et va chercher cette bouteille.

 

La cuisine se trouvait éloignée de la salle à manger par un long couloir
sombre et silencieux où n’avait pas été prévu de système d’éclairage.
Bévue d’un ingénieur distrait, oubli d’un ouvrier désinvolte, cette anomalie
qui était source d’irritation et de moquerie la journée
devenait terrorisante la nuit venue.

 

- Christian, dépêche-toi !

 
Je me levai de ma chaise avec rage et me dirigeai vers ce tunnel noir et infini.
Je bloquai ma respiration au moment de plonger dans le vide.

Pour me repérer je touchai le mur de ma main
et avec mes doigts je suivai son prolongement.
Toujours en apnée, les muscles contractés et les pensées naufragées 
j’étais impatient d’accoster le cadre de la porte, signe que je pourrais allumer
l’unique ampoule de la pièce.
Ma main se lançait alors avec impatience et avidité à la recherche
du gros interrupteur en faïence et quand je sentais sa rondeur
sous mes doigts, je l’actionnai.

Contrastant avec l’animation qui l’égayait le jour,
l’immobilité de cette cuisine me saisissait.

Je m’emparai de l’objet que j’étais venu conquérir,
et pour respecter les consignes d’économie autant que par défi,
garçon obéissant mais orgueilleux j’éteignai en quittant la pièce.

La traversée du couloir en sens inverse était facilitée
par la lueur qui provenait de la pièce à vivre.

Quand je posais mon trophée sur la table je savourais en silence ma victoire.  
 

 


 

 

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commentaires
L
<br /> <br /> salut chris. je me souviens bien moi aussi de ces pluies torrentielles,c'était un beau spectacle. Ton texte est super.<br /> <br /> <br /> <br />
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F
pas facile d'être un petit gars...
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C
Beau ...<br /> Je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à Poil de Carotte ...
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P
Bien écrite cette odyssée nostalgique
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T
Super
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